Voile

Au cœur du convoyage retour

Quatre jours après avoir quitté Gènes, il est temps pour l’IMOCA CORUM L’Épargne de quitter une Méditerranée qui nous aura tantôt bercés, tantôt fait sauter dans nos bannettes.
A bâbord, assis sur les sommets, quelques nuages ouatés laissent filer vers la mer les magnifiques roches marocaines et leurs courbes tendues, presque volcaniques.
A tribord, haut perché, le rocher de Gibraltar.

Devant ce décor, symbolique pour certains, très concret pour d’autres, force est de ressentir quelques frissons. Entre l’Afrique et l’Europe, on se prend rapidement en photo, mais vite, on se prépare. Pendant qu’une cohorte de cargos passe le détroit, les navettes qui rallient les deux continents quadrillent leur sillage. Et nous, on s’affaire sur le pont à changer de voile d’avant. Décidément, tout le monde est très occupé à la croisée des mondes. Nico me dit : « Gibraltar, c’est un des endroits où quand le fichier (météo) te dit que tu auras 40 nœuds, tu auras 40 nœuds ». Alors, une fois la toile réduite, le skipper pousse la barre de son 60 pieds pour sortir de Méditerranée.

Généré par l’étroitesse du détroit, le fameux effet Venturi donne aux voiles de CORUM L’Épargne une puissance soudaine et fulgurante, aussitôt transmise à la coque et aux appendices du bateau, et transformée en vitesse. Le foil immergé transforme à son tour cette vitesse en « excès de vitesse », car même si les deux skippers ont le plein contrôle du bateau, c’est bien la sensation immédiate. C’est un peu comme essayer un vélo sans savoir qu’il est électrique, et se faire surprendre quand l’assistance motorisée prend le relais.

À 30 nœuds, le bateau fait l’effet d’un rouleau compresseur sur la mer, et laisse dans son axe une eau plate, blanchie, presque paisible, qui contraste avec la houle courte, sombre et ridée qu’il traverse. Je vais chercher le caisson étanche de mon appareil dans le bateau pour capturer ce sillage aplani, mais quand je ressors équipé avec de quoi me protéger des trombes d’eau qui se déversent dans le cockpit, Seb me lance en rigolant : « là, c’est mouiller des fringues pour mouiller des fringues ». Changement de costume. Influencé par la voix de la sagesse, ce sera finalement caleçon rayé et gilet de sauvetage, de quoi profiter des premières fraîcheurs de l’Atlantique. Arrivé à Lagos, le vent nous quitte comme pour marquer un changement d’acte. Il est temps de déposer Olivier et Gabriel (membres de l’équipe technique), afin que Nicolas et Sébastien puissent entamer officiellement leur qualification pour la Transat Jacques Vabre. Cependant, un problème sur une pièce du moteur préoccupe à bord, car même si nous avançons à la voile, le moteur est un élément de sécurité. Entre en scène la célèbre solidarité des gens de la mer, quand les marins venus récupérer nos deux équipiers viennent également avec l’outillage spécifique pour réparer ce qui nous fait défaut, et nous laissent une heure plus tard avec un ravitaillement symbolique, et un moteur qui fonctionne parfaitement. Passée la pointe Sud du Portugal, le bateau retrouve 20 nœuds de vent sur un bord de reaching, et le foil immergé fait décoller les deux co-skippers vers leur qualification en double, en route pour Lorient.

 

Par

TANGUY CONQ
Mediaman à bord de CORUM L'Epargne

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