Retour sur l’avarie de l’IMOCA CORUM L’Épargne en mer d’Irlande

Le 10 mai 2022, l’IMOCA CORUM L’Épargne a annoncé devoir se retirer de la Guyader Bermudes 1000 Race, en raison d’une avarie de quille. Depuis, le bateau et Nicolas Troussel ont été pris en charge et ramenés, en toute sécurité, à Lorient. Retour, avec ceux qui l’ont vécu de l’intérieur, sur cet incident de parcours qui se termine bien pour le skipper.
Minuit et demi, dans la nuit du 9 au 10 mai. Nicolas Troussel pointe à la 5e position de la flotte lancée sur la Guyader Bermudes 1000 Race. L’IMOCA CORUM L’Épargne file à vive allure, cap au sud après avoir magnifiquement négocié le contournement du Fastnet, au sud de l’Irlande, dans des conditions qu’il affectionne. La nuit s’annonce propice à poursuivre la remontée au classement entamée dans l’après-midi.
Alors qu’il est à l’intérieur du bateau, Nicolas est alerté par un bruit, et par un comportement anormal du bateau qui n’arrive plus à atteindre la vitesse attendue, et dont le pilote automatique adopte des angles suspects. Il sort, inspecte le bateau… mais ne constate rien qui puisse l’expliquer.. Méthodiquement, il s’assure que les réglages sont corrects, et s’attèle à relancer le bateau. En vain. Afin de vérifier que rien n’est coincé dans la quille, ce qui pourrait expliquer qu’il ne se relance pas, il entreprend les manœuvres habituelles dans un tel cas : une marche arrière après avoir remis la quille verticale. Il essaie de nouveau de reprendre une allure normale, sans résultat. Il décide alors d’inspecter le puits de quille, après avoir enlevé la protection qui le recouvre. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit que la quille n’est plus dans son logement, et que celle-ci n’est plus dans l’axe du bateau.
Nicolas prend donc les décisions qui s’imposent lors de ce type d’avarie : il se met au cap le moins sollicitant pour le navire, réduit la voilure, et à 01h30, prévient Greg Evrard, le Team Manager.
« Le réveil est brutal, je sais immédiatement que cet appel n’est pas porteur de bonne nouvelle, mais la qualité de la communication est loin d’être parfaite, et je n’entends pas beaucoup plus que “problème de quille”. WhatsApp prend immédiatement le relais et nous échangeons l’essentiel, par messages courts. Nicolas sait ce dont j’ai besoin pour évaluer le mieux possible la situation, et me le communique de façon synthétique mais claire. J’accuse réception de chaque message, et me concentre pour évaluer la situation, le risque immédiat, et son évolution potentielle. Nous sommes préparés à ce type de situation. Prévenir la Direction de Course et s’assurer qu'elle informe le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) sans pour autant déclencher d’opération à ce stade. Joindre Frédéric Puzin (fondateur de CORUM L’Epargne) et Matthieu Masquelier, en charge de la communication. S’assurer que la famille de Nicolas soit informée avant toute communication publique. Et en même temps, surveiller la progression du bateau, échanger avec Nicolas pour s’assurer que la situation ne se dégrade pas, l’évaluer régulièrement grâce aux photos du bord que transmet Nico, étudier les prévisions météorologiques pour voir si le risque pourrait s’accroitre, et valider la meilleure destination, réunir la cellule de crise technique composée de membres de notre équipe, étudier différents scenarii, répondre aux questions de Nicolas. Une longue journée qui va durer pas loin de 45 heures commence... »
Gabriel Couronne, responsable du bateau, fait naturellement partie de cette équipe mobilisée. Il appelle directement Armand de Jacquelot, responsable du bureau d’études. « On s'est retrouvé avec Greg et Armand au bureau. A ce moment-là, on a beau être au milieu de la nuit, il faut rester lucide, il n’y a pas de place pour les émotions. »
Le calme avant la tempête
Hugo Feydit, responsable de l’électronique, de l’énergie et des communications, raconte : « Au vu de la criticité de la situation, et de la dégradation de la météo pour le lendemain, la décision de partir en mer à la rencontre du bateau pour l’accompagner et tenter de le sécuriser est prise. Il nous faut faire vite. Gabriel, Olivier (Mainguy, en charge du mât et du gréement) et moi sommes de la mission, le bateau missionné est le trimaran Merida, d’Ocean Assistance, commandé par Adrien Hardy, coureur au large de haut niveau en plus d’être commandant de marine marchande, ayant prouvé à plusieurs reprises sa compétence à remplir ce type de mission. Nous appareillons à 11h30. »
Hugo Feydit revient sur cet instant : « On passe la citadelle, emblème de l’entrée de la rade de Lorient. Une dizaine d’heures de navigation nous séparent de Nico et du bateau. On savait qu’en mer la communication avec la terre allait être plus difficile mais nous nous efforçons de suivre avec attention via des échanges de SMS par téléphone satellite avec la terre l’évolution de la situation à bord de l’IMOCA, ainsi que sa position et un potentiel point de rencontre. »
Objectif : atteindre Nicolas avant la nuit, et avant l’arrivée du mauvais temps. À bord du trimaran, Hugo et l’équipe s’activent : « On élabore la meilleure stratégie pour agir rapidement une fois à coté de Nico. Gabriel et Olivier monteront à bord de l’IMOCA et je resterai avec l’équipage du Merida. L’objectif est de l’escorter jusqu’à une zone abritée pour laisser passer le coup de vent prévu. A bord, le mal de mer dû au roulis si particulier de ce trimaran à moteur de 35 mètres se mêle au stress et à la fatigue déjà bien présente. Le temps parait bien long. »
Rentrer à la maison
A 21h45, Gabriel et les autres arrivent à hauteur de l’IMOCA CORUM L’Épargne : « Cela nous laissait une petite demi-heure avant la nuit. Olivier est monté à bord, puis moi. On a retrouvé Nico qui avait réussi à dormir un peu, plutôt en forme. On était content de le retrouver ! » Pour Hugo, « c’est un premier soulagement de voir le bateau dans le même état que dix heures plus tôt. La situation semble assez stable. La nuit tombe, il nous faut faire vite, on met un canot pneumatique à l’eau pour pouvoir transférer Gabriel et Olivier ainsi que du matériel de première urgence à bord de l’IMOCA. Le canot parait ridiculement minuscule dans l’immensité de l’océan, et monte les vagues tel un cycliste gravissant un col de montagne. »
Le constat que fait l’équipe après avoir fait le tour du bateau, est qu’il vaut mieux ne rien toucher. La situation est stable, et une intervention sur place ferait courir le risque de l’aggraver. La décision est prise de faire route vers la Bretagne sans tarder. Plus précisément, vers l’anse du Stiff sur l’île d’Ouessant, afin de se mettre en sécurité puisqu’il n’est pas possible de rallier Brest avant que le vent forcisse et que l’état de la mer se dégrade [l’anse du Stiff étant aussi le repère protégé des Abeilles, les remorqueurs d’intervention, d’assistance et de sauvetage français, lorsqu’ils sont en attente active à l’occasion de grosses tempêtes].
Un retour houleux dont se souvient Gabriel : « On a traversé le DST de Ouessant [dispositif de séparation du trafic, servant à organiser le contournement de la pointe bretonne par les nombreux navires de commerce], on a croisé quelques cargos, c'était un peu stressant car ce n'est pas simple de zigzaguer entre les cargos. On est arrivé à Ouessant au petit matin et on a décidé de laisser passer le front et de rester à l'abri à l'anse du Stiff. »
Pour toute l’équipe, c’est un soulagement, y compris pour Hugo. « Nous voici au mouillage, c’est une première victoire. On laisse passer le plus fort du vent, on inspecte le bateau de fond en comble à la lumière du jour, et on se fait un repas pour l’anniversaire de Nico à bord de Merida, petit moment de rigolade avant de reprendre la mer. »
Lorient, fin du voyage
Après cet instant festif, comme suspendu entre deux moments de grande concentration, l’équipage se remet en route. Un retour à Brest dont se souvient Hugo : « On arrive à Brest, on reçoit un accueil chaleureux de l’équipe restée à terre qui réchauffe le cœur après la déception de l’abandon et l’intensité émotionnelle de la mission d’assistance. » L’IMOCA reste une semaine en escale technique à Brest pendant laquelle toute l’équipe étudie les meilleures solutions pour ramener le bateau, et le prépare (vider tout le matériel à bord, retirer les foils, le mât). Il est finalement de nouveau remorqué par le trimaran Merida et arrive à son port d’attache à Lorient le 19 mai en fin de journée. La fin d’un épisode intense de 10 jours, et le début d'un processus de reconstruction sans aucun doute bien plus long. Mais c’est aussi le début d’une autre aventure : celle du diagnostic et de la remise en état du bateau pour s’aligner sur les prochaines courses au programme cette année - malgré l’impossibilité de prendre part à la Vendée Arctique – Les Sables d’Olonne en juin. Gabriel est prêt : « On est une équipe soudée. On est motivé et motivant ! Il y a une belle dynamique d'équipe pour passer ces mauvais moments. » Greg aussi est confiant : « Nicolas et le bateau ont montré leur potentiel sur le début de course. CORUM L'Epargne était 5e au moment de l'incident. C'est donc encourageant et motivant pour la suite, nous avons une équipe déterminée. »

Les mots de Nicolas Troussel
« J’étais content du passage du Fastnet, le bateau marchait très bien et j’ai doublé quelques concurrents. Ça laissait présager de bonnes choses pour la suite. Au moment où j'ai compris qu’il y avait un problème avec la quille, j’ai aussi compris que c’était la fin de la course. Les heures qui ont suivi ont été très intenses... Je ne sais pas encore ce qu’il s’est passé exactement. Je reste frustré et déçu de ne pas avoir fini. Mais, ce qui est positif c’est que j’avais une bonne prise en main du bateau, j’ai eu un bon aperçu de son potentiel, et on a laissé entrevoir de quoi nous sommes capables. Maintenant j’ai envie de revenir encore plus fort. »
Par
CHLOÉ BOYELDIEU