Voile

Vendée Arctique Les Sables d’Olonne : frissons polaires pour les e-skippers…

Alors que les skippers de la Vendée Arctique Les Sables d’Olonne ont dû renoncer à contourner l’Islande en raison d’une météo scabreuse, avant que la course soit finalement définitivement arrêtée, les e-skippers en ligne sur Virtual Regatta ont, eux, bel et bien frissonné en coupant le cercle polaire. Les explications de Pierre, qui barre l’IMOCA virtuel de CORUM L’Épargne.

 

Alors que la course en mer a été stoppée, la course virtuelle ira jusqu’au bout

Cap sur la Vendée Arctique Les Sables d’Olonne, cette course en solitaire et sans escale lancée en pleine pandémie pour consoler les fans de voile, déçus que la mythique New-York Vendée ne puisse avoir lieu… Une course préparatoire au Vendée Globe, et pensée comme un clin d’œil à la plus difficile des courses au large puisque, comme le fameux tour du monde en solitaire, elle commence et s’achève aux Sables d’Olonne. Elle offre ainsi aux skippers un avant-goût du grand frisson de 2024 et l’occasion de se confronter aux autres IMOCA.

Ambitieuse et exigeante, la Vendée Arctique Les Sables d’Olonne ambitionnait dès cette seconde édition un défi inédit : passer le cercle polaire arctique en contournant l’Islande . C’était sans compter sur des conditions météo épouvantables et des vents de plus de 50 nœuds  qui ont conduit les organisateurs à neutraliser, puis arrêter définitivement la course samedi 18 juin pour des raisons de sécurité.  
Mais les e-skippers en compétition sur Virtual Regatta ont, eux, bel et bien suivi le parcours initial et réalisé la boucle de l’Islande en coupant deux fois le cercle polaire. 

 

Du réel au virtuel

Sur l’IMOCA virtuel CORUM L’Epargne, Pierre vit sa course avec passion. Ce féru de voile s’est mis à jouer sur Virtual Regatta il y a une dizaine d’années, alors qu’il n’avait quasiment jamais navigué sur mer. « C’est mon oncle qui m’a initié au monde de la mer, se souvient-il. Lors du Vendée Globe 2004, le duel entre Jean Le Cam et Vincent Riou m’a complètement happé. C’était complètement fou ! En parallèle, je faisais le match avec un copain. L’événement était encore assez peu médiatisé à l’époque, contrairement à maintenant, où les navigateurs ont droit à plusieurs heures de direct à la télévision. » Pour vivre à fond sa passion et s’immerger pleinement dans la course au large, Pierre trouve une technique : se placer sur la ligne de départ de Virtual Regatta, le jeu de courses en ligne. D’abord occasionnellement, puis plus sérieusement depuis le dernier Vendée Globe en 2020. Il y a un mois, devançant 23 000 joueurs, il gagne la Guyader Bermudes 1000 Race à bord d’un IMOCA qu’il avait choisi de floquer au couleurs de CORUM L’Epargne. C’est donc en toute logique qu’il se voit proposer de devenir e-skipper CORUM L’Epargne pour la saison sportive virtuelle 2022. 

 

Analyser 4 bulletins météo par jour

Le 12 juin dernier, Pierre prend donc le départ avec 33 000 autres e-navigateurs. Trois groupes se forment dès le début de la course , empruntant trois itinéraires différents. Entre un groupe parti à l’Ouest et un autre longeant par l’Est, il opte pour une trajectoire centrale relativement courte et en accord avec la météo.

La météo, c’est l’élément crucial pour tous les skippers, sur mer comme en ligne. Virtual Regatta récupère les données de la NAO, l’agence américaine de météo océanique. Quatre bulletins sont publiés chaque jour, à 5h30, 11h30, 17h30 et 23h30, avec des prévisions à 14 jours. « Je me connecte donc toutes les six heures, au moment du bulletin météo, et je passe ensuite trois quart d’heure à analyser, trancher et mettre en œuvre mes décisions. Parfois les bulletins se contredisent et la stratégie que l’on suit se révèle bonne ou mauvaise… » Ses compétences, Pierre les a acquises en grande partie de façon empirique. Il mêle ses connaissances à son travail d’analyse, compare les modèles météo et use de son expérience pour connaître le rythme des alizés… Chaque jour, ses choix stratégiques sont une suite de paris raisonnés.

 

Un enchaînement de choix tactiques

Rapidement, la météo justement permet au groupe Ouest de distancer tous les autres concurrents. « Ce groupe a vraiment fait un excellent choix tactique, concède Pierre. Je les félicite ! Ils ont été hyper bons ! » Derrière, les autres e-skippers s’embourbent bientôt dans une pétole déprimante qui leur inflige 24 heures de retard pour passer l’Islande, avant l’arrivée d’une dépression carabinée. Jusqu’à la première dorsale, Pierre fait encore la course en tête de son groupe. Mais l’absence de vent impose de changer la trajectoire prévue. « Maintenir la route initiale, c’est prendre le risque de rester bloqué, raconte Pierre. Inutile de suivre la route des premiers, l’avance qu’ils ont prise est trop importante. Autant tenter une autre tactique : la route par l’Est. » Le 14 juin, il vire donc de bord. Mais il manœuvre un peu trop tard et perd la première place de son groupe. « Le matin suivant, d’autres sont mieux positionnés que moi. Mais ça, c’est rattrapable », estime-t-il. Le lendemain, il manœuvre à nouveau un peu tard. Or à chaque action, la jauge d’énergie du skipper gérée par le jeu est impactée : les manœuvres prennent plus de temps et génèrent un temps de latence avant de pouvoir reprendre de la vitesse, ce qui bien sûr influe sur la performance du bateau… Pierre voit les premiers du groupe s’éloigner un peu plus. Mais il est encore possible de repasser devant. En revanche, gagner la course semble désormais hors de portée. Il faudrait que les premiers rencontrent des conditions vraiment difficiles pour qu’il soit possible de les remonter. Dans le troisième groupe, certains songent même à abandonner…

 

Ténacité, audace et passion !

Pas Pierre, dont l’esprit de compétition demeure intact ! « J’éprouve bien sûr de la frustration à ne pas être en tête, à n’avoir pas pris les bonnes options, admet Pierre. Mais je ressens surtout l’émulation de toujours vouloir faire mieux. ». Balancé entre son envie de gagner et la réalité de la vie, il vit sa course à fond. « Pour rester dans le match, il faut se lever même la nuit, raconte-t-il. Je ne pose pas de congés pour jouer, alors je prends sur le temps de repas et ¾ d’heure sur ma journée de travail, quitte à partir plus tard du bureau. Avec Virtual Regatta, un joueur passionné peut passer tout son temps en course s’il le souhaite, et peut même prendre le départ de plusieurs courses à la fois… » Pierre, lui, limite sa participation dans l’année, pour ménager sa vie de famille. 

Et quand on lui demande de citer les qualités premières que doit posséder un joueur sur Virtual Regatta, il lance : « la ténacité ! Il faut avoir de la détermination et de la patience. Les courses sont longues. Inutile de se précipiter ou de s’énerver quand la situation ne tourne pas bien… Il faut aussi être audacieux et instinctif, savoir tenter des choses. Personne ne gagne sans prendre de décision, en suivant seulement un routeur [ce logiciel qui donne la meilleure route à un instant T, NDLR] » 

Dans le jeu, tous les e-skippers ont le même bateau. Pas de différence technologique, pas d’avarie matérielle possible. Les réussites comme les échecs reposent entièrement sur les choix stratégiques, les décisions prises ou non… « Il faut surtout ne rien regretter : lorsqu’une option se présente et qu’elle nous convient, il faut la saisir ! Il sera toujours plus facile d’accepter l’échec dont on est soi-même responsable que celui qui nous est imposé », insiste Pierre.

Un conseil à donner ? « Il faut se faire plaisir, conclut-il, vivre la course en ligne comme une passion. Il ne s’agit pas seulement d’un jeu de maths ! »
Pierre devrait franchir la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne vendredi matin. L’adrénaline pourra retomber un peu… jusqu’à la prochaine course !  

 

Par

ELISA NOLET

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